La pandémie actuelle impose des contraintes fortes d’organisation pour les entreprises. Résilience, plan de continuité, gestion de crise, maintien de la relation clients, gestion des Ressources Humaines et développement massif du télétravail, développement des systèmes d’information, conduite des opérations de communication, et maintien de l’organisation de la gouvernance de l’entreprise. Alors que la majorité des salariés du secteur de l’assurance travaillent aujourd’hui à distance, les dirigeants sont également confinés chez eux. Nous avons décidé d’interviewer, à distance, Claude Sarcia, Président du Directoire Groupe IMA (Inter Mutuelles Assistance).
Claude Sarcia, tout d’abord merci de répondre à cette interview. Comment en tant que personne, vivez-vous ce confinement ?
Je le vis bien en dépit des contraintes quotidiennes qu’il impose. J’ai la chance de bénéficier de conditions de vie et de travail privilégiées. Cela me gêne d’autant moins, qu’en temps normal, je pratique régulièrement le travail à distance entre Paris et Niort (siège de l’entreprise). Et puis, c’est presque une vieille habitude pour moi qui ai passé mon bac à distance ! Plus sérieusement, cette période est aussi synonyme d’une certaine solitude du dirigeant avec encore plus de responsabilités sur les épaules. C’est pourquoi, il est plus que jamais essentiel de s’appuyer sur des collaborateurs de confiance pour échanger en toute liberté. Un président est un homme comme les autres avec ses intuitions, ses exigences, ses convictions et ses doutes. Cette période exige de l’humilité, de l’empathie et un sens accru du collectif pour décider le plus justement possible, de surcroît, dans un contexte stressant totalement inédit.
Trouvez-vous certains aspects professionnels positifs à votre confinement ? au télétravail ?
En tant que « bi-national » partagé entre Paris et Niort (siège du Groupe) et l’international (en charge de nos filiales), j’observe déjà que je perds moins de temps et d’énergie dans les transports ! De fait, les moyens de communication modernes peuvent favoriser une forme nouvelle d’efficacité dans l’exposé des problèmes à résoudre et dans la prise de décisions.
Nous allons sans doute plus rapidement à l’essentiel. Néanmoins, il faut s’imposer une nouvelle discipline, tous les acteurs doivent jouer le même jeu. Cela suppose donc une forme d’apprentissage et des règles communes de bonnes conduites en réunion, que ce soit avec les collaborateurs, les partenaires sociaux, les actionnaires ou les partenaires commerciaux.
Toutefois, cela ne comble pas le manque de contacts humains « pour de vrai » que nous pouvons ressentir et qui font la richesse de la vie en entreprise. La perte de subtilité dans l’expression des uns et des autres à travers les outils digitaux peut être dommageable dans la relation. En tant que linguiste, cela me fait penser à la frustration que l’on peut ressentir lorsque l’on s’exprime dans une langue étrangère que l’on maîtrise imparfaitement. Cela contraint à réduire l’expression de sa pensée, à gommer les nuances, à aller à l’essentiel. De fait, on perd en convivialité, en informel.
Quelles grandes décisions, pour votre entreprise, avez-vous prises dans ce contexte ?
Tout d’abord, les décisions liées à la mise en sécurité, en urgence, des collaborateurs dès l’annonce du confinement par le gouvernement avec la fermeture des sites, le déploiement massif et très rapide du télétravail (plus de 75% des salariés en quelques jours). Nous avons également fait le choix d’une sécurisation sociale en termes d’emplois et de rémunérations en plein accord avec nos actionnaires et en concertation avec les partenaires sociaux avec lesquels nous avons signé un accord cadre jusqu’à la fin de l’année. Nous entretenons avec ces derniers et l’ensemble de nos instances un dialogue permanent.
Nous avons accéléré le règlement des factures de nos prestataires afin de leur apporter notre soutien dans cette période d’activité fortement réduite.
En parallèle, nous avons mis en place des dispositifs permettant de poursuivre la vie normale de l’entreprise pour répondre aux besoins de nos actionnaires et de nos clients et animer les projets structurants qui préparent l’avenir du Groupe.
L’ADN de notre métier, s’adapter dans l’urgence en toutes circonstances, prend sa pleine puissance dans cette période.
Enfin, nous avons très vite planifié une reprise très progressive de l’activité sur les sites en plaçant la sécurité des collaborateurs au coeur de tous nos dispositifs. Ainsi, dès les dates de déconfinement connues pour l’ensemble des sociétés du Groupe, en France et à l’international, la mise en oeuvre de la reprise des activités en a été facilitée et optimisée.
Comment organisez-vous la gouvernance de l’entreprise ?
Nous avons mis en place un comité de direction journalier, un comité de crise réunissant toutes les expertises nécessaires pour piloter l’entreprise au plus près de l’évolution de la situation sanitaire et économique. Des réunions très régulières avec les fonctions RH, Communication, Informatique et Logistique, fonctions au coeur du quotidien des équipes, ont été tenues afin de garder le lien et de prendre le pouls de la vie de l’entreprise. Enfin, dès la reprise de l’activité sur sites, des équipes d’accompagnement des collaborateurs ont été déployées.
En définitive, notre gouvernance nous a permis d’assurer une double gestion : celle de la situation de crise et celle de la préparation du futur en intégrant les conséquences de cette crise tant sur le plan stratégique qu’organisationnel et humain.
Les Français et probablement la grande majorité des salariés de votre entreprise sont actuellement en télétravail. Selon certaines études, une très grande majorité des français salariés n’ont pas l’habitude de travailler à distance (89% selon une étude *) et ne disposent pas d’un espace réservé pour le home office (73% selon la même étude*), comment cela se passe dans votre entreprise ?
Dans notre cas, plus de 75% des salariés sont en télétravail. Les premiers retours dont nous disposons montrent que, pour l’essentiel, cela se passe plutôt bien avec évidemment de grandes différences selon la situation personnelle et familiale de chacun.
Certains attendent impatiemment de revenir dans nos locaux pour retrouver une vie sociale au travail, revoir des collègues, échanger de vive voix… Il n’est pas évident pour tout le monde de trouver une organisation et des espaces pour concilier vie professionnelle et personnelle à domicile. Cette période demande beaucoup d’écoute, d’humanité et de bienveillance. En même temps, il est plutôt sympathique d’entendre des arrières fonds sonores inédits dans les réunions en visio ou par téléphone, qu’il s’agisse d’enfants qui jouent ou d’un chien qui aboie !
Est-ce que le télétravail permet de gagner du temps, de la concentration et de l’énergie ? Pour vous, pour vos collaborateurs ?
A titre personnel, je dirais que les journées sont plus intenses. Ceci est encore accentué par la dimension internationale du Groupe qui exerce notre métier de l’assistance dans le monde entier.
Autrement dit, il y a un niveau d’exposition renforcée et une plus grande nécessité de concertation avec toutes les parties prenantes. Mais cela est plus lié à la situation de crise que nous vivons qu’au télétravail en tant que tel. Il ne faut pas confondre le télétravail en général que nous pratiquions déjà avec ce télétravail continu, contraint par la situation de confinement.
Pour les collaborateurs, comme je l’ai déjà exprimé, les vécus sont très variables selon les métiers, les personnalités et les situations personnelles. Nous n’avons pas encore assez de recul pour tirer des conclusions. Quoi qu’il en soit, j’ai été impressionné par la capacité de mobilisation, d’adaptation et le sens des responsabilités des équipes de toutes les entités du Groupe. J’y ai trouvé la pleine confirmation de notre état d’esprit singulier, lié à notre culture de l’assistance et à l’histoire d’IMA.
Stress, surcharge de travail, isolement social, incertitude… Le télétravail en contexte de confinement n’est pas sans risque. Or, le travail à distance n’exonère pas les employeurs de leurs obligations de protection de la santé de leurs salariés. Est-ce conciliable ?
J’en suis convaincu. Conscient dès le début qu’il s’agissait d’un contexte potentiellement anxiogène, nous avons beaucoup investi sur la communication managériale. Ainsi, nous avons maintenu la proximité avec les équipes, diffusé et partagé des bonnes pratiques, créé des occasions de contacts informels même virtuels.
De même, dès le début de la crise nous avons mis à la disposition de l’ensemble des salariés du Groupe une cellule d’accompagnement psychologique, une cellule de conseil médical, et un dispositif d’exercices sportifs et de bien-être. Ces structures ont à la fois mobilisé nos propres équipes médicales et des psychologues. Elles ont permis de dispenser des conseils de prévention, de rassurer et de garder le moral pour traverser au mieux cette situation si particulière.
La technologie permet de maintenir l’activité professionnelle, de garder un peu de lien social… avez-vous découvert ou utilisé de nouveaux outils dans ce contexte ?
Il est clair que cette situation nous a poussé à utiliser massivement, et à un niveau d’intensité inédit, des outils de télétravail, de visioconférence, notre réseau de communication interne. Nous avons aussi fortement mis en oeuvre les outils de téléconsultation pour nos bénéficiaires tant en France qu’à l’étranger.
Ce contexte nous a amené à nous interroger fortement sur nos outils. Des conclusions s’imposent, il nous faut dès à présent nous doter de capacités de communication inter-sites décuplées, de stocks de matériels portables, PC, smartphones, renforcer à titre sécuritaire nos lignes téléphoniques par un nouveau support de fibre optique (augmentation des débits), …
Tout ceci suppose donc des investissements non négligeables en termes d’équipements et d’infrastructures.
Voyez-vous des conséquences positives de cette quasi généralisation du télétravail ?
Globalement, je dirais oui dans la mesure où beaucoup le redoutaient et ont été en mesure d’en faire l’apprentissage, avec toutes les nuances que j’évoquais précédemment.
La vraie nouveauté, c’est la durée du télétravail en continu. Celle-ci implique une évolution des relations managériales, des échanges, de communication, et ce afin de maintenir des relations humaines de qualité. A terme, nous devrons trouver un subtil dosage pour faire vivre le maintien du lien social, entre ses formes digitales et physiques, en tenant compte de la singularité des profils sociologiques des collaborateurs, sans oublier le droit à la déconnexion. Ces éléments me paraissent cruciaux pour préserver l’essence même du contrat social d’une entreprise : le sentiment de partager une aventure commune qui fait sens pour soi et pour les autres.
Pensez-vous, à terme, que cela risque d’augmenter le nombre de « télétravailleurs » une fois la période de confinement terminée ? Plus de demandes de la part des entreprises, des salariés ? La crise sanitaire actuelle risque-t-elle de modifier structurellement votre organisation ?
A ce stade, je l’ai dit, nous ne pouvons en tirer des conclusions hâtives. Il faut prendre le temps de l’analyse pour évaluer les différents éléments dans la durée.
Des habitudes, des régularités nouvelles se sont sans doute créées mais seront-elles durables ? Des aménagements immobiliers, de nouveaux équipements matériels sont sans doute à envisager (des postes de travail sur sites jusqu’à l’ergonomie de ceux-ci au domicile, …).
De nouvelles formes d’inquiétudes ont aussi émergé à l’occasion de cette crise. Les sensibilités et situations personnelles sont plurielles.
Il faut se donner du temps pour tirer les leçons de ce que avons vécu et de ce que nous allons continuer à vivre encore plusieurs mois.
Il est probable que notre rapport au travail va évoluer, que d’autres formes de responsabilisation, de prise d’initiative, de coopération et d’autonomie vont se dessiner. Nous n’en restons pas moins des « animaux sociaux », soucieux de garder le lien avec les autres, les collègues, l’entreprise, autant de besoins qui ne pourront jamais disparaître pour le plus grand nombre d’entre nous.
Avez-vous un autre commentaire ?
Ce type de situation exceptionnelle exacerbe les qualités et les défauts de chacun. Cela concerne tous les acteurs de l’entreprise, dirigeants compris ! Cela met en tension toutes les relations. Les gérer le plus sereinement possible exige une véritable préparation physique et psychologique. A chaque réunion, à chaque contact, il faut se préparer comme un sportif au vestiaire avant un match, qui s’apprête à rentrer sur le terrain.
Paradoxalement, dans un monde où l’immédiateté numérique envahit tous les aspects de nos vies, on redécouvre les vertus de la préparation et de l’introspection.
Il y a une forme de « déséquilibre dynamique » à trouver : nous gagnons une prise de distance, qui n’est pas uniquement spatiale, tout en espérant retrouver au plus vite la chaleur des relations humaines.
*Deskeo a interrogé le 26/03/2020 2 736 professionnels au sujet de leurs conditions de télétravail.
Par Jean-Luc Gambey – Vovoxx
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