Sur le périmètre de la complémentaire santé, les Assureurs (au sens large) peuvent-ils être toujours considérés comme des « Assureurs payeurs » ? Est-ce que face à l’évolution des besoins des assurés, de la normalisation des garanties santé (contrat responsable, 100% santé) et de l’ouverture concurrentielle (résiliation infra-annuelle), il deviendra nécessaire, pour les acteurs de la complémentaire santé, de développer de la valeur ajoutée et de reconsidérer son périmètre serviciel ? Dans un contexte d’évolution et de transformation de l’assurance, Carte Blanche Partenaires a souhaité mettre en perspective les convictions de dirigeants/décideurs du secteur, sur l’évolution de la complémentaire santé. Nous avons interviewé*, dans le cadre de l’ouvrage** récemment réalisé « Dessine-moi une complémentaire santé », Florence Lustman, Présidente de la Fédération Française de l’Assurance.
La pression réglementaire sur la complémentaire santé est très présente (espaces d’intervention, nature des garanties, mode d’exercice…). Dans ce contexte, l’avenir des « complémentaires santé » passe-t-il par le développement de nouveaux services ou bien par des garanties complémentaires ?
Par les deux ! Les OCAM (Organismes Complémentaires d’Assurance Maladie) en France doivent être des acteurs à part entière du système de santé et pas de simples payeurs aveugles. Nous avons un rôle essentiel à jouer dans l’amélioration des parcours de santé et de la qualité des soins, dans l’accompagnement, dans l’évaluation transparente et objective des services fournis au prix le plus juste, bref dans toutes ces avancées dont le patient sera le grand bénéficiaire.
Cela passe évidemment par de nouveaux services aux assurés, qui cherchent plus d’efficacité et de simplicité. Par exemple, les services liés à l’automatisation et la dématérialisation des échanges doivent absolument se développer. Nous devons abandonner les facturettes et autres papiers à renvoyer, qui sont des démarches souvent compliquées pour l’assuré et coûteuses pour l’assureur. Nous allons également continuer à développer les services d’accompagnement car les assurés attendent de plus en plus un soutien qui ne soit pas purement financier. Le déploiement du projet ROC (Remboursement des Organismes Complémentaires) permettra, par exemple, de donner à l’assureur des informations en temps réel sur l’hospitalisation de son client, sur les changements intervenus durant son séjour etc. Toutes ces données permettront d’enrichir les services apportés au patient, notamment dans la gestion de son quotidien au retour de l’hôpital.
Concernant les garanties, les OCAM proposent déjà de plus en plus des prises en charges reconnues mais non remboursées par l’AMO (Assurance Maladie Obligatoire), et ce pour la plus grande satisfaction des assurés ! Il faut aller plus loin en proposant des garanties plus larges, par exemple sur la médecine douce ou l’automédication. C’est en étant là où l’AMO n’est pas que les complémentaires montreront toute leur utilité.
Selon vous les OCAM auraient vocation à être plus présents dans certains domaines, voire à y remplacer l’AMO ?
Je ne sais pas si le terme de « remplacement » est le bon, en tout cas le débat sur l’intérêt d’un double étage AMO/AMC (Assurance Maladie Complémentaire) ne peut pas être occulté. S’il est vrai que la valeur ajoutée des complémentaires santé peut être discutable parfois, par exemple sur le remboursement de certains médicaments, sur d’autres postes on peut se demander s’il ne serait pas mieux de leur accorder une intervention exclusive… Je pense notamment à l’optique, où au lieu de faire rembourser par le régime de base à peine 9 centimes sur une paire de lunettes, on pourrait en déléguer toute la gestion aux OCAM. L’État conserverait la définition du cahier des charges de cette délégation et allouer les sommes économisées vers les soins en ophtalmologie, par exemple. On gagnerait sans doute en efficacité en remplaçant le « double étage » par des domaines exclusifs affectés à l’un et à l’autre.
De manière générale, les assureurs ont évidemment vocation à être impliqués sur tout le parcours de soin et à se déployer davantage. J’ai toujours été étonnée de constater que tout le monde fait confiance aux assureurs et assisteurs pour prendre en charge des personnes en détresse médicale à l’autre bout du monde, ce qui nécessite une maîtrise de tous les systèmes de santé et une logistique parfaite, mais que l’on ne met pas suffisamment à profit ce savoir-faire en France. Pourtant, ces méthodes qui ont fait leurs preuves à l’étranger pourraient très bien être mises en œuvre chez nous, pour le plus grand bénéfice des patients !
Je rajouterais que l’un des obstacles au déploiement des complémentaires santé, sont les taxes. Elles ont fortement augmenté ces dix dernières années et représentent maintenant près de 14 % de la prime, bien plus que dans les autres grands pays européens. Il est tout de même paradoxal que, d’un côté on encadre de plus en plus les assureurs et on leur refuse le droit de générer les fonds propres nécessaires à leur activité et, de l’autre, qu’on les taxe toujours plus… In fine, ce sont toujours les assurés les grands perdants, surtout les plus modestes.
Pour les contrats complémentaires santé (individuels), un sentiment est souvent évoqué par les professionnels, les assurés : les garanties complémentaires santé sont aujourd’hui proche de l’uniformisation.
Partagez-vous ce sentiment ? Quelles seraient les éventuelles évolutions à prévoir ? Et à quel horizon ?
Le marché de la complémentaire reste dynamique en France. Un assuré a toujours la possibilité de trouver chaussure à son pied grâce à des garanties et des tarifs très différents d’un acteur à l’autre.
Maintenant, il est vrai que les contrats responsables s’uniformisent parce qu’ils sont soumis à une règlementation de plus en plus contraignante. L’idée, à l’origine, était de mieux coordonner les actions du régime de base avec les complémentaires santé, en particulier lors de la mise en place du médecin traitant, mais les choses ont aujourd’hui bien changé… Le contrat responsable est surtout devenu un ensemble d’obligations de prises en charge, comme par exemple l’obligation de couvrir au ticket modérateur tous les actes remboursés par l’AMO, ou bien d’interdictions, notamment sur les dépassements d’honoraires où le remboursement des complémentaires santé est plafonné. Cet alourdissement règlementaire a mis fin aux contrats modulaires où l’assuré pouvait choisir ses garanties à la carte et alléger sa facture puisqu’il y a désormais un socle de base qui représente environ 80 % des coûts. Or, cela signifie des tarifs plus élevés pour tous et laisse peu de place pour le financement de garanties nouvelles.
Il y a peut-être aussi les efforts en matière de lisibilité des contrats, qui expliquent ce sentiment d’uniformisation. Pour rappel, nous avons signé l’an dernier un important engagement de place pour harmoniser les principaux intitulés des tableaux de garanties et mieux définir les postes de dépenses. Cet accord est de plus en plus suivi et nous ne pouvons que nous en réjouir, il va dans l’intérêt des assurés. Mais il faut veiller à ce que ces efforts n’entrainent pas les contrats complémentaires à devenir des contrats « standards ». Le consommateur en serait perdant.
Au-delà du remboursement, la complémentaire santé a aussi un rôle sociétal (prévention santé, accès aux soins pour tous…). Est-il visible, perceptible par les Français ? Ce rôle doit-il s’accentuer ?
Les OCAM jouent en effet un rôle important en matière de prévention, notamment via les contrats collectifs qui permettent de proposer des services de prévention au sein même des entreprises. Il s’agit de services efficaces qu’eux seuls peuvent proposer et qui sont totalement complémentaires des campagnes de prévention du Ministère de la Santé ou de la Sécurité sociale. Mais il faut aller plus loin et développer les actions, notamment en matière d’entretien, de détection et de suivi des pathologies. Et pour cela il faudrait que les assureurs aient des données détaillées qu’ils n’ont souvent pas…
C’est pareil sur l’accès aux soins, où les OCAM agissent sur les prix. Les services qu’ils proposent en termes de négociation des tarifs, d’analyse des devis ou de simulateurs de reste à charge sont un puissant levier pour permettre à l’assuré d’accéder à des soins de qualité à moindre coût. Ils sont d’ailleurs largement plébiscités.
La guerre tarifaire et celle des mois gratuits n’a-t-elle pas pour effet de polariser le positionnement des offres de complémentaire santé sur le prix, et non sur les services ? Au-delà du tarif, quels sont selon vous, les éléments qui feront la différence pour séduire de nouveaux adhérents ?
Les assurés restent très sensibles à la qualité du service. La pression tarifaire est forte sur certains segments comme les contrats collectifs, mais les entreprises restent très exigeantes sur le contenu des contrats car leurs salariés demandent des couvertures de qualité. C’est également de plus en plus le cas sur les contrats individuels parce que les clients comparent maintenant beaucoup les offres et qu’il est aujourd’hui plus facile de changer de complémentaire santé. Nous constatons que pour les assurés, l’étendue des garanties, la qualité de l’aide à domicile en cas de maladie, les délais et le suivi des remboursements, la qualité des simulateurs et l’analyse des devis, les services d’aide à l’orientation dans le système de soins et, bien sûr, la réactivité de l’assureur sont des critères essentiels.
Les OCAM ont bien saisi cette tendance et comprennent que l’aspect tarifaire n’est pas tout. Mais il faut que la réglementation leur permette d’aller plus loin pour proposer des services et des garanties toujours plus adaptés. Par exemple en matière d’utilisation des données, d’intelligence artificielle ou de renforcement des parcours de soins.
Concernant justement les nouvelles technologies (objets connectés, intelligence artificielle…), comment voyez-vous leur intégration (ou pas) dans les services déployés par les complémentaires santé ? À quelles conditions ? À quel horizon ?
Les assureurs santé sont des vecteurs majeurs de l’expérimentation et de la mise en place des nouvelles technologies au service de l’amélioration des soins. Nous constatons par exemple que les services de téléconsultation sont de plus en plus utilisés et la Covid-19 est en train d’accélérer cette tendance. De même pour les outils de suivi ou de géolocalisation des personnels de santé, ou pour les outils d’aide à l’orientation dans le système de santé, comme les cartographies des services hospitaliers, les indicateurs de qualité de soin etc. Toutes ces technologies sont déjà une réalité concrète et deviendront rapidement une habitude.
Le domaine où il y a encore le plus d’efforts à réaliser, selon moi, c’est celui de l’utilisation des données et de l’intelligence artificielle. Des progrès énormes peuvent être faits en termes de détection des pathologies et de personnalité des traitements. Mais pour cela, il faut, encore une fois, que les assureurs continuent à investir et surtout que la réglementation leur permette d’exploiter les données des assurés avec responsabilité et efficacité.
Voyez-vous des menaces concurrentielles pouvant se développer « contre » les acteurs historiques de la complémentaire santé ? (par exemple, des offres de complémentaires santé avec beaucoup plus de services, de technologies…).
Je ne pense pas qu’il faille avoir peur de nouveaux arrivants sur le marché à condition que la concurrence reste libre et juste. La concurrence est une bonne chose en soi. C’est grâce à elle que les OCAM proposent des services toujours plus innovants et qualitatifs au meilleur prix. C’est certainement aussi ce qui permet d’ailleurs aux membres de la Fédération Française de l’Assurance de renforcer leurs parts de marché année après année.
En conclusion, quel sera le rôle, quels seront les principaux traits, les principales caractéristiques de la complémentaire santé (individuelle/collective) de demain ?
La complémentaire santé de demain dépendra beaucoup du dialogue que nous aurons avec les pouvoirs publics et les assurés. Les évolutions ne pourront être actées que de manière collective, dans l’intérêt de chacun. J’espère que la complémentaire santé de demain aura un rôle encore plus actif, qu’elle pourra être un acteur à part entière et « positif ! » de la santé des assurés. Un acteur qui conseille, qui accompagne au quotidien, qui propose des services parfaitement adaptés aux besoins des gens.Et qui gagnerait peut-être à avoir un nom différent… j’ai toujours trouvé le terme de « complémentaire » beaucoup trop réducteur !
*Interview réalisé lors du 1er semestre 2020
**Co-production Carte Blanche Partenaires / L’assurance en Mouvement – Vovoxx