Splendeur et misère du 1,50 % patronal

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Les faits

Lors de la constitution d’une société, ses deux gérants optent pour le statut de salarié, niveau cadre, ce qui amène l’entreprise à cotiser au régime de prévoyance des cadres. A la suite du départ en retraite d’un des gérants co-fondateurs, le capital de la société est recomposé, et un nouveau co-gérant est nommé. A cette date, le second gérant co-fondateur reste en place et décide de changer son statut pour devenir travailleur indépendant. Son contrat de travail initial est alors suspendu.
A la suite d’une mésentente entre les co-gérants, le gérant co-fondateur voit son mandat révoqué entrainant une reprise d’effet de son contrat de travail. L’intéressé est alors placé en arrêt de travail, puis met fin à ses jours peu après le début de sa procédure de licenciement.
Sa veuve souhaite obtenir le versement du capital décès normalement dû au titre de la prévoyance des cadres mais il s’avère qu’aucun contrat n’a été souscrit au titre de cette garantie. Elle décide d’assigner la société devant le tribunal de grande instance de Lille afin d’obtenir le paiement du capital décès à hauteur de la somme de 115 848 euros. Les juges de premières instances lui donnent raison.

Rappel sur le 1,50 % patronal

Pour mémoire, la Convention collective nationale des cadres impose à l’employeur une cotisation à sa charge exclusive, égale à 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond de la Sécurité sociale (tranche A). Cette cotisation doit être affectée, par priorité, à la couverture d’avantages en cas de décès.
Les employeurs qui, lors du décès d’un participant, ne justifient pas avoir souscrit un contrat comportant le versement de la cotisation visée au premier paragraphe, sont tenus de verser aux ayants droit du décédé une somme égale à trois fois le plafond de la sécurité sociale en vigueur lors du décès.
Dans l’affaire, la Cour relève que la révocation des fonctions de gérant a mis fin à la suspension du contrat de travail et que celui-ci a ainsi retrouvé son statut de cadre. Les fiches de paye de la période allant jusqu’à la convocation de l’entretien préalable au licenciement confirment cette situation en faisant apparaître une ligne relative à la prévoyance cadre (tranche A) conformément aux obligations de la société. De même, la Cour souligne que le placement de l’ex co-gérant en arrêt maladie n’est pas un motif le privant de l’application de la garantie.

Refus d’assurance pour cause d’arrêt maladie

Pour s’exonérer de son obligation de résultat, la société fait valoir la notion de force majeure à savoir son impossibilité de trouver un assureur susceptible de couvrir le risque, en soutenant que la situation de sinistralité résultant de l’arrêt maladie de l’ex co-gérant, débuté depuis la reprise de son contrat de travail jusqu’à son décès, a eu pour conséquence que les assureurs n’ont pas souhaité prendre en charge le dossier.
La société produit même aux débats une décision du défenseur des droits faisant état de la difficulté qui peut exister pour les sociétés soumises à l’obligation de souscrire à la prévoyance face à la possibilité pour les organismes assureurs de refuser les adhésions. Cette décision, pour la Cour, n’a pas pour effet de remettre en cause les droits qu’a pu acquérir le défunt, dans la mesure où elle n’a pas eu de conséquences dans les faits.
La société a aussi produit aux débats diverses pièces faisant état du refus de couverture de la part de plusieurs assureurs du marché.

Pas de force majeure

Mais pour les juges, ces différents éléments ne sauraient toutefois suffire à établir l’existence d’une situation de force majeure.
La cour relève que les recherches ont, dans un premier temps, été tournées exclusivement vers un assureur et que ce n’est qu’ensuite que d’autres compagnies ont été sollicitées, ce qui a abouti à présenter à ces dernières une vision péjorative du dossier, compte tenu de la durée de l’arrêt de travail.
Par ailleurs, la société écarte le motif d’exclusion du suicide survenu moins de deux ans après la reprise du contrat de travail puisque dans le cadre du dispositif dit du 1,50 % patronal, la somme est due quelle que soit la cause du décès. Si un contrat d’assurance avait été conclu, alors se serait posée les questions de la faculté pour l’assureur d’exclure le suicide volontaire et de la qualification du suicide volontaire ou pas. Mais précisément ces questions n’ont pas lieu d’être soulevées dès lors qu’aucun contrat d’assurance n’a été conclu, précise la Cour. A ce titre, elle souligne que le défunt a été admis au régime de la prévoyance cadre pendant 17 ans avant la suspension de son contrat de travail, soit une admission à ce régime supérieure à deux années.
La Cour d’appel confirme ainsi le jugement de première instance condamnant la société à payer la somme de 115 848 euros à la veuve de l’ex co-gérant de la société correspondant à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale lors du décès.
Ne s’agissant pas d’une prestation d’assurance, on rappellera que la société devra aussi supporter les charges sociales sur cette somme.
Une telle situation peut fragiliser une entreprise. D’où l’intérêt de mener une réflexion profonde sur la sélection médicale des garanties de prévoyance.
COUR D’APPEL DE DOUAI, CHAMBRE 1 SECTION 1, ARRÊT DU 25/03/2021
Jean-Charles NAIMI

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