La recherche de l’équité, clé de voute de la réussite de la médiation

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La médiation de l’assurance contribue à créer, et parfois à restaurer, un climat de confiance entre assurés et assureurs. Les services de la médiation sont gratuits pour les assurés.  » Diligence, compétence, indépendance et impartialité » , sont les piliers de l’engagement du Médiateur de l’Assurance. Nous avons eu le plaisir de rencontrer Arnaud Chneiweiss,
Pour commencer, Arnaud Chneiweiss, de quelle autorité dépend la médiation de l’assurance et comment est-elle financée ?

Je rends des comptes à deux instances : le Conseil d’Administration de la Médiation, composé de courtiers et d’assureurs et présidé par Corinne Dromer, Présidente du Comité consultatif du secteur financier et la Commission d’Evaluation et de Contrôle de la Médiation et de la Consommation (CECMC). Le Conseil d’Administration décide du budget, en 2021 un peu moins de 6 millions d’euros. Il faut savoir que les directives européennes de 2013 prévoient que la médiation est gratuite pour le consommateur, donc l’assuré. La Médiation est donc financée par les professionnels de l’assurance, sur le principe « pollueur-payeur ». Par exemple si un assureur représente 10% des dossiers recevables traités en médiation, il finance alors 10% du budget. Quant à la CECMC, elle contrôle l’ensemble des médiateurs. Elle s’assure de leur indépendance, de leur impartialité, qu’ils aient les moyens nécessaires à l’exercice de leur mission.

Quelle(s) problématique(s) prioritaire(s) devez-vous traiter aujourd’hui ?

La première priorité est la réduction du délai de réponse aux assurés. Lorsque j’ai pris mes fonctions en mars 2020, le délai moyen de réponse aux assurés était de 13 mois, avec des dizaines de dossiers en cours depuis 2 ans. Le Code de la Consommation indique pourtant qu’il faut répondre dans un délai de 3 mois, sauf dossiers complexes. Nous étions donc loin du compte, et la CECMC avait exprimé son mécontentement.

J’ai espoir qu’en cette fin d’année, nous approchions les 8 mois de délai moyen de réponse aux assurés. Ceci, alors que nous sommes passés de 15 000 saisines en 2019 à 20 000 par an aujourd’hui. Nous avons également l’objectif qu’à la fin de l’année aucun dossier n’excède 15 mois d’attente. Enfin, nous traitons aujourd’hui un peu plus de 15% des dossiers dans les 3 mois – les plus simples. Je pense que nous pourrons monter à 25%. Nous allons dans la bonne direction mais je suis conscient que ces délais sont encore trop longs pour l’assuré qui attend avec impatience notre « proposition de solution ».

Je souligne l’engagement remarquable de l’équipe à mes côtés, une cinquantaine de personnes dont 40 juristes. Ils ont fait face à la très forte hausse des saisines. L’équipe est très compétente. D’ailleurs, nous sommes suivis quasiment systématiquement par les assureurs quand nous allons dans le sens de l’assuré.

Comment expliquez-vous cette augmentation des saisines ?

Je vois trois raisons. La loi de 2019 sur la modernisation de la Justice vise à désengorger les tribunaux. Si le litige est inférieur à 5000 euros, Il faut obligatoirement tenter une médiation ou une conciliation avant de pouvoir saisir le tribunal. Par ailleurs, la crise sanitaire a occasionné de nombreux litiges – qu’on songe aux assurances professionnelles. Enfin, la médiation de l’assurance est sans doute mieux connue que par le passé.

Rappelez-nous sous quelles conditions le Médiateur peut-il être saisi ?

Ces conditions vont changer. Jusqu’à présent, nous étions liés par la recommandation de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) sur le traitement des réclamations qui date de 2016. Elle préconise une « procédure d’escalade » : il revient à l’assuré mécontent d’épuiser d’abord les recours devant les différentes instances de réclamation de son assurance. C’est seulement après le refus de prise en charge du service « réclamation » que l’assuré peut saisir le médiateur.

Or ce processus fonctionne mal et les associations de consommateurs le souligne depuis des années : dans les faits, seulement le tiers des saisines est recevable. Parmi celles que nous refusons, les saisines sont « prématurées » pour la moitié d’entre elles, car le service réclamation de l’assureur n’a pas été saisi. Les assurés mécontents ont tendance à se tourner directement vers nous. Les autres saisines refusées sont hors sujet, par exemple il s’agit d’un litige avec une banque et non un assureur.

Des évolutions sont-elles prévues ?

Oui. Une réforme s’engage dès maintenant suite au rapport public du Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF) sur « La médiation bancaire et de l’assurance », paru début juillet. La réforme consiste à mettre fin à la procédure d’escalade et passer à un délai de deux mois stricts : désormais, deux mois après avoir exprimé son mécontentement, l’assuré pourra saisir le médiateur quel que soit l’interlocuteur vers lequel il se sera initialement tourné, et qu’il ait reçu ou non une réponse du service réclamation.

Cette réforme est très souhaitée par les consommateurs : en pratique, elle poussera les assureurs à accélérer leurs traitements des réclamations. Ces derniers devront donc se réorganiser en conséquence, ce qui est sans doute un chantier lourd.

L’ACPR a lancé une concertation sur ce projet de réforme. Cela doit déboucher sur une recommandation qui sera mise en œuvre chez les assureurs, j’imagine, d’ici le printemps 2022.

Et vous concernant, cette réforme pourrait-elle provoquer une nouvelle augmentation du nombre de dossiers envoyés à la médiation ?

C’est probable. La philosophie de cette réforme est de faire croître fortement le taux de recevabilité des saisines, actuellement de 33%.  Mais d’autres paramètres, encore incertains, pourront aussi jouer, comme la fin de la crise sanitaire. Et la capacité qu’auront les assureurs à mieux filtrer les réclamations dans le nouveau contexte.

Pouvez-vous être saisi aussi bien par des particuliers que des professionnels ?

La directive européenne de 2013 est centrée sur les consommateurs particuliers. Cependant en décembre 2020, un accord purement français, je dirais même informel puisqu’il n’a été formalisé que sous forme d’un communiqué de presse du Ministère des Finances, est venu étendre les possibilités de saisine aux PME, artisans et commerçants.

En réalité, depuis la création de la Médiation de l’assurance en 2016, certains assureurs de PME comme la Maaf, MMA, Axa, le Crédit Agricole, Groupama, SMABTP…avaient déjà accepté volontairement que leurs assurés fassent appel à la médiation. Désormais, tous les assureurs sans exception ont accepté que leurs assurés commerçants, artisans, PME, travailleurs indépendants…puissent saisir la Médiation. Les saisines en assurances professionnelles concernent avant tout l’assurance dommages et pèsent pour 4,5% du total de nos saisines.

Quels types de dossiers traitez-vous le plus souvent et comment adoptez-vous une position ?

60% de nos dossiers relèvent de l’assurances-dommages (dont 30% assurance automobile et 30% pour la MRH), 40% de l’assurance de personnes. Ce qui est frappant en assurance de biens, c’est que nous avons des dossiers d’assurance affinitaire à hauteur de 18%, en particulier les assurances relatives au téléphone portable et à l’annulation de voyage. J’ai d’ailleurs exprimé mon mécontentement, lors de la présentation du rapport annuel fin août, sur certaines assurances de téléphone portable, avec un bon écho dans les médias. Il ne faut bien sûr pas généraliser, les problèmes se concentrent souvent sur quelques acteurs.

Ces situations m’ont amené à développer les avis en équité. C’est-à-dire que purement en droit, l’assureur a raison : par exemple la personne appelle au bout de 3 semaines pour annuler son contrat alors que son droit de rétractation n’est que de 14 jours, et donc épuisé. Mais au vu de la masse des dossiers reçus avec des cas similaires et des témoignages convergents, j’ai été amené à amender ma position : en équité, j’ai pu demander aux assureurs concernés d’annuler les contrats et de rembourser les primes car manifestement, les personnes n’avaient pas consenti à souscrire à ce contrat d’assurance. Je l’ai d’ailleurs dit aux assureurs concernés et à la Fédération des Assureurs Affinitaires, avec laquelle je suis prêt à travailler pour améliorer les pratiques.

Nous avons aussi rendu des avis en équité dans des situations où des personnes ayant souscrit à un PERP mais se trouvant en grande précarité souhaitaient une sortie en capital. Dans ces cas particuliers, nous invitons l’assureur à accéder à ces demandes, même si le contrat prévoyait en réalité une sortie en rente.

Concernant les garanties d’annulation de voyage, elles sont souvent extrêmement restrictives, ce qui génère des frustrations. Les voyageurs ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas couverts. Ils n’ont pas lu attentivement le contrat lors de la souscription, et c’est au moment du sinistre qu’ils découvrent la réalité des garanties. Par exemple, une personne réellement malade a dû annuler son voyage et a fourni un certificat médical, sauf que le contrat précise qu’il faut 3 jours d’hospitalisation pour que la garantie s’applique… Donc cette personne, bien qu’immobilisée chez elle, n’est pas couverte.

Des problématiques similaires se posent dans des cas de garanties de perte d’exploitation : beaucoup de personnes ayant souscrit à ces garanties n’ont pas compris pourquoi celles-ci ne s’appliquaient pas en cas d’épidémie. C’est que les conditions du contrat nécessitaient un incendie, un dégât des eaux, un attentat ou d’autres circonstances spécifiques. Ces situations suscitent donc beaucoup d’incompréhensions car l’assuré a le sentiment d’avoir « fait l’effort » de souscrire une assurance.

Dans de tels cas, nous confirmons la position de l’assureur : le contrat est le contrat et nous l’expliquons avec pédagogie. Cependant s’il y a place au doute, le doute doit profiter à l’assuré, c’est ce qui résulte du Code de la Consommation. C’est aussi un principe du Code Civil : en cas de doute, il faut interpréter la situation contre celui qui a rédigé le contrat.

Vous évoquez la problématique des exclusions floues qui se retrouve aussi sur les assurances de personnes.

C’est un de mes grands combats et nous allons progresser.

Trop souvent, des assureurs ne respectent pas les décisions de la Cour de Cassation. Par exemple nous trouvons encore dans certaines assurances-dommages des clauses excluant l’indemnisation en cas de « défaut d’entretien » d’un bien alors que ces clauses sont condamnées par la Cour de Cassation depuis plus de 20 ans. Le Code des Assurances exige en effet des clauses rédigées de façon formelle et limitée, ce qui n’est pas le cas ici. Chacun a son opinion sur ce que signifie « bien entretenir sa maison ».

Autres clauses ne sont pas valables : la maison qui doit avoir été construite « selon les règles de l’art », la notion de « négligence », ou celle de « troubles psychiques » en assurance de personnes. Toutes ces notions sont soumises à interprétation et ont été condamnées par la Cour de cassation. Ce n’est pas bon pour l’image de la Profession que de telles clauses figurent encore dans des contrats commercialisés aujourd’hui. Les assurances revendiquent un rôle de repère économique et social. Cette prétention légitime implique de respecter les décisions de la plus haute juridiction du pays.

En juin dernier, la Cour de Cassation a fini par s’agacer, ayant à se prononcer de nouveau sur un contrat excluant « sciatiques, lombalgies et autre mal de dos ». En 2006, elle avait déjà écarté les mots « autre mal de dos ». Cette fois, la Cour a décidé de déclarer la clause invalide en son entier, y compris donc les cas de sciatique et les lombalgies, qui sont pourtant parfaitement identifiables. Il s’agit d’une décision assumée et réfléchie qui sera publiée dans le rapport annuel de la Cour de Cassation.

C’est une décision très importante : dès lors qu’un élément de la clause est considéré comme flou, l’entièreté de la clause peut être déclarée invalide.

Vous insistez aussi sur le besoin de poser des questions précises aux assurés

Nous voyons souvent cette problématique. Par exemple dans le cas d’une assurance emprunteur, supposons que l’assureur affirme que l’assuré a menti lors de sa déclaration de santé à la souscription. Mais l’a-t-on interrogé clairement ? Si l’assuré a simplement signé une déclaration pré-imprimée indiquant qu’il est en bonne santé sans qu’on lui pose davantage de questions, ses éventuels problèmes de dos ou d’hypertension ne sont pas assimilables à un mensonge. Sur le nombre de pièces d’une maison, encore faut-il s’entendre si on compte la cuisine, le sous-sol, etc… On retrouve le principe voulant que le doute profite à l’assuré. Son application un peu plus poussée explique qu’en 2019, nous étions à un taux de 25% d’avis favorables aux assurés alors que ce taux est monté à 30% aujourd’hui. Dans 7% des cas, c’est au nom de l’équité que nous allons dans le sens de l’assuré.

Avez-vous pris des initiatives en matière de communication, pour mieux sensibiliser le public et-ou les assureurs ?

Nous avons d’abord modernisé notre site Internet, sachant que 40% des saisines que nous recevons sont faites en ligne. La crise sanitaire a évidemment fait progresser ce chiffre. Mais la majorité de nos dossiers nous parvient encore par courrier à ce jour. Pour nous, les saisines par Internet sont plus faciles à traiter.

Début 2022, nous aurons un « espace réclamant », pour des échanges électroniques plus fluides avec les assurés, qui pourront suivre aussi l’état d’avancement de leur dossier.

Nous avons enfin créé une Page LinkedIn, afin d’être davantage présents sur les réseaux sociaux et expliquer nos positions. Nous nous devons de parler aux assurés là où ils se trouvent, or les réseaux sociaux sont incontournables. Des études de cas concret sont publiées tous les 15 jours, dans un but didactique et de prévention.

Propos recueillis par Jean-Luc Gambey et Jean-Charles Naimi

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