Le courtage de proximité en pleine transformation ?

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Entre les obligations liées à la Directive Européenne de Distribution d’Assurance (DDA), le règlement RGPD et l’autorégulation par des associations, les courtiers voient les contraintes légales et les contrôles peser davantage sur leur activité.

En pleine transformation, le courtage serait-il un métier de plus en plus difficile ? C’est ce que pensent 71% des courtiers d’assurance indépendants, interrogés dans le cadre d’une étude OpinionWay commandée par le nouveau courtier grossiste Zenioo.

Interview croisé avec Jean-Hubert BANNWARTH, co-fondateur de Zenioo, et Francis TEBOUL, PDG d’Assurance Formation Audit Accompagnement (AF2A).

Quelle est votre vision du métier de courtier d’assurance de proximité aujourd’hui, et ses évolutions ?

Jean-Hubert BANNWARTH

Le métier a énormément évolué depuis quelques années sur deux axes principaux : d’abord celui de la digitalisation qui s’accompagne d’enjeux de formation et de réglementation. Les courtiers doivent concilier l’aspect commercial de proximité, le fondement de leur métier, avec ces nouveaux enjeux.

Par ailleurs, les courtiers ont besoin de travailler en multicanalité car depuis quelques années, ceux qui étaient leurs partenaires deviennent leurs concurrents : les grossistes font de plus en plus de business en direct. Une notion de compétition est donc apparue et celle-ci n’est pas toujours évidente pour les courtiers individuels. Or il faut s’adapter très vite pour continuer de progresser : les courtiers souhaitent conserver leur indépendance, mais ils doivent être mieux accompagnés.

Francis TEBOUL

Il faut se mettre très vite à la digitalisation car les courtiers « à l’ancienne » auront de plus en plus de mal à exercer leur métier : les nouvelles générations sont habituées à obtenir des réponses très rapidement grâce au digital.

Il faut en effet accompagner les courtiers sur la partie règlementaire : avec AF2A, nous travaillons avec des courtiers grossistes qui nous achètent des produits de façon à former leurs propres courtiers, y compris par rapport à la DDA. Il est vrai que les courtiers peuvent se sentir seuls : il y a environ 45 000 courtiers sur toute la France, or ils souhaiteraient que ce soit la formation qui vienne à eux. Dans les grandes villes c’est possible mais c’est très compliqué dans les campagnes ou les villages reculés, c’est pourquoi chez AF2A, nous apportons des réponses à ces questions.

Un autre enjeu majeur tient au fait que la position de courtier spécialisé uniquement dans le risque du particulier n’est plus tenable : aujourd’hui le courtier qui assure seulement de l’habitation, du vol ou de l’automobile, c’est terminé.

L’idée est donc que les cabinets de courtage disposent de collaborateurs orientés vers les risques d’entreprises ou le multirisques commercial. C’est sur l’entreprise, la santé, la retraite, l’assurance emprunteur que le plus gros des chiffres d’affaires sont faits. La force du courtier c’est sa proximité mais pour garder sa légitimité, il lui faut désormais apporter une réponse globale au client, qui réponde à tous ses besoins.

Concrètement, les courtiers sont-ils inquiets de cette situation ?

Jean-Hubert BANNWARTH

D’après l’enquête que nous avons confiée à OpinionWay, non ils n’ont pas peur et sont même très confiants sur leur capacité à continuer à travailler dans la durée et créer de la valeur. En revanche 71% des courtiers interrogés disent que leur métier est beaucoup plus difficile qu’il y a 10 ans, et plus de 50% déplorent que leurs partenaires historiques ne les aident pas sur les sujets clés.

Avec la digitalisation, le client a plus facilement accès aux informations. Cela n’implique-t-il pas que le courtier doit alors augmenter son niveau de conseil ? Peut-on parler d’une forte montée en compétence pour les courtiers d’aujourd’hui ?

Jean-Hubert BANNWARTH

Les courtiers sont des experts de leur métier, mais il est vrai que les prospects sont mieux documentés qu’auparavant et sont en mesure de poser des questions plus pertinentes. Il s’agit d’une problématique compliquée car les comparateurs digitaux auxquels le prospect a accès fonctionnent très vite alors que le courtage est un métier de conseil nécessitant de la formation, ne pouvant pas se faire en une minute. Il faut donc installer des process dans la durée.

Francis TEBOUL

Il est très important que le courtier puisse assurer le même niveau de conseil quel que soit le mode de distribution, et qu’il puisse expliquer cela au client. Mais il faut savoir argumenter : un client averti connaît le produit presque autant que nous, ou plus problématique encore, il croit le connaitre mais ce n’est qu’une impression. Dans ce cas, le courtier doit faire preuve de beaucoup de pédagogie.

Jean-Hubert BANNWARTH

D’autant plus que nous vivons une autre évolution : avant les clients venaient aux courtiers, avec des demandes entrantes. Mais c’est terminé : maintenant, il faut aller chercher le client, ce qui est un changement majeur.

Vous brossez des évolutions et des changements assez impressionnants. Cependant être courtier, c’est avoir aussi besoin de collaborateurs : ce métier souffre-t-il d’une pénurie de talents et d’attractivité ?

Jean-Hubert BANNWARTH

Tous les ans à l’ORIAS, on continue d’avoir des créations nettes de courtiers, même s’il est évident que le recrutement représente une vraie difficulté des cabinets de courtage, comme dans beaucoup d’autres secteurs. C’est un problème chronophage : lorsqu’un courtier a une entreprise à faire tourner, qu’il faut se battre tous les jours pour maintenir son CA, il n’a plus le temps ni les ressources nécessaires pour se transformer en manager et s’investir dans le recrutement puis l’intégration de collaborateurs.

Cependant aujourd’hui, les collaborateurs des cabinets de courtages souhaitent de plus en plus progresser et évoluer en compétences : il faut donc les aider à passer ces étapes, mais c’est un travail de management. C’est pour cela qu’avec notre dispositif Zenioo Campus, nous aidons les courtiers au recrutement. Mais au-delà de la formation et du recrutement, nous préparons aussi l’intégration des nouveaux candidats dans le cabinet de courtage.

Francis TEBOUL

Il est vrai que ce métier est méconnu, il existe un problème d’image de l’assurance au sens large, même si quelque part, ce sujet a toujours existé. Pendant 30 ans, je travaillais dans le recrutement pour la banque et l’assurance. Pour la banque, nous avions toujours une multitude de candidatures. Les métiers de la banque attirent plus que l’assurance et pourtant, ils me paraissent moins intéressants.

Il existe aussi un déficit au niveau de la connaissance du métier : lorsque je suis en recrutement, je constate que les candidats ne font pas la différence entre un courtier et un agent d’assurance. Quant aux jeunes, ils ne conçoivent pas toute la diversité de la réalité des métiers que couvre l’assurance.

Pourtant, il existe peu de métiers comme celui d’assureur, accessible au bout de 150 heures avec certification, sans oublier les nombreuses passerelles entre les différents métiers au sein du secteur.

La DDA impose aux professionnels concernés 15 heures de formation par an pour les salariés. Est-ce suffisant ? Un bilan de cette obligation a-t-il été fait ?

Jean-Hubert BANNWARTH

15 heures par an, ce n’est pas suffisant par rapport à toutes les évolutions du métier que nous avons évoquées. Les courtiers sont bien conscients de cette obligation mais nous ne disposons pas de statistiques aujourd’hui. Avec la prochaine loi d’autorégulation, des contrôles seront imposés, donc l’an prochain nous disposerons forcément de chiffres.

D’après l’enquête OpinonWay, la majorité des courtiers estime que les formations proposées par la plupart des partenaires ne sont pas adaptées aux métiers. En réalité, ils vivent cette formation annuelle de 15h comme un « moment obligatoire sans création de valeur ».

Francis TEBOUL

C’est en effet ce que nous vivons au quotidien : cette directive sur la distribution de l’assurance est tombée en 2019 sur la tête des courtiers, a été très mal comprise et a été pour ainsi dire perçue comme une pénalité.

Cette quotité de 15 heures est une idiotie au regard de la réglementation sur la formation. Cependant tout notre travail chez AF2A vise à faire de cette obligation une opportunité : nous proposons à nos clients qui le souhaitent un vrai parcours pédagogique basé sur leurs besoins. Aujourd’hui nous avons 4000 clients à qui nous proposons des programmes à la carte : nous sommes parvenus à transformer cette obligation en montée en compétence.

Les textes d’application de la réforme du courtage sont venus préciser les missions et le fonctionnement des futures associations professionnelles, opérationnelles à partir d’aujourd’hui : ces associations joueront-elles un vrai rôle en termes de capacité professionnelle et de formation ?  

Jean-Hubert BANNWARTH

Chez Zenioo, nous pensons que c’est une bonne chose. L’intérêt de cette autorégulation, c’est de donner aux courtiers la possibilité de prendre leur avenir en main, de travailler sur des sujets de fond et sur la façon dont il faut contrôler la profession. Nous sommes un métier règlementé donc il nous paraît normal d’instaurer des règles et des contrôles. L’assurance n’est pas un bien ou service comme les autres

A ce titre là encore, avec Zenioo nous sommes sortis de notre zone de confort, en aidant à la création de Votrasso, Association d’autorégulation du courtage. Nous allons jusqu’au bout de notre démarche d’accompagnement des courtiers, en créant une structure à leur service. Là où Votrasso se démarque, c’est qu’elle aidera les courtiers à prendre leur avenir en main tout en leur laissant les clés, dans le cadre d’une gouvernance. Les dirigeants de Votrasso n’auront rien à voir avec Zenioo : ce sont bien les courtiers qui s’approprieront l’association.

Les associations interviendront-elles sur la qualité des formations et leurs modes opératoires ?

Jean-Hubert BANNWARTH

Les associations devront faire le lien entre les problématiques d’évolution des métiers évoquées, redéfinir des besoins de formation plus précis, davantage orientés métier plutôt que sur le seul prisme législatif. Ce sera l’opportunité de réconcilier l’axe règlementaire et ce dont le métier a besoin.

Un mot sur la Zenioo School ?

Jean-Hubert BANNWARTH

Le parcours de formation Zenioo School allie la formation théorique à la formation pratique, en préparant les participants aux vrais enjeux que connaissent les cabinets de courtier : les fondamentaux de la relation commerciale et les savoirs techniques du métier.

Nous travaillons en amont avec le courtier c’est-à-dire l’employeur pour déterminer ses besoins dans son cabinet. Des moments d’échange ont lieu régulièrement entre le courtier et nos équipes pédagogiques. Nous montons alors le programme et nous accompagnons sa mise en œuvre.

Donc finalement l’idée est simple, et je me demande pourquoi personne d’autre ne l’a réalisée ! Je suis très fier de ce dispositif qui aide au recrutement : cela contribue à instaurer une dynamique nouvelle dans les cabinets de courtage, avec de jeunes recrues ce qui favorise les échanges transgénérationnels.

Nous ne nous contentons pas simplement de la formation puisque nous avons déjà trouvé du travail pour une trentaine de candidats qui sont chez des courtiers aujourd’hui. En fait, tout est parti des demandes des courtiers eux-mêmes : avant, il suffisait de prendre son téléphone et d’appeler ses connaissances, voire de débaucher quelqu’un. Maintenant c’est terminé, il faut les aider à recruter. Aujourd’hui en 10 mois d’existence de ce programme, 1100 courtiers travaillent avec nous, quasiment dans la France entière. L’objectif est d’en avoir 2000 d’ici la fin de l’année.

Du côté de l’AF2A, des actualités sur la formation pour le courtage de proximité ?

Francis TEBOUL

Nous sommes est en train de créer de nouveaux produits sous une nouvelle forme, envisagés pour la fin de l’année. Il est encore trop tôt pour en parler : rendez-vous aux prochains Trophées de l’Assurance !

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