Guerre des talents : vers un « empowerment » des collaborateurs ?

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Les mois de confinement et-ou de télétravail ont transformé le rapport au travail et ses modes d’organisation : entre des collaborateurs aux exigences plus fortes, davantage en quête de sens, et la remise en cause du management traditionnel, c’est finalement un nouveau modèle d’avenir qui se dessine à travers ce phénomène de « guerre des talents », dont la dénomination semble assez réductrice…

Des déséquilibres entre l’offre et la demande

Aujourd’hui en France, différents secteurs éprouvent des difficultés de recrutement. Si le secteur informatique vient spontanément en tête (selon Numeum, le secteur nécessite 10 000 diplômés supplémentaires par an), en réalité les professions de la tech sont loin d’être les seules concernées. D’après une enquête menée l’an dernier par Pôle Emploi sur les besoins de main-d’œuvre, les informaticiens n’entreraient même pas dans le Top 10 : les professions les plus touchées par les difficultés d’embauche relèvent avant tout du bâtiment, à l’image des charpentiers et des couvreurs.

Vers un « empowerment » des collaborateurs ?

Conséquence de ce déséquilibre entre l’offre et de la demande, les actifs sont en position de force pour mieux imposer leurs conditions : le salaire mais aussi l’ensemble des conditions de travail comme les congés payés, plus de souplesse horaire et bien évidemment pour les métiers du tertiaire, la possibilité de télétravailler.

Ces exigences plus fortes ne sont pas sans impact sur la gestion des ressources humaines, voire sur le management du fait d’une évolution de la relation employeur/employé : les nouvelles générations de recrues agissent davantage en partenaire, tendant à faire estomper le lien hiérarchique.

Publié le 17 février, le 3ème baromètre Centre Inffo de la formation professionnelle révèle que les actifs connaissent bien mieux qu’auparavant le système de formation : 50% d’entre eux savent combien d’heures ils ont acquis sur leur Compte Personnel de Formation (CPF), alors qu’ils n’étaient que 25% en 2019. 69% des actifs se considèrent comme « acteurs de leur formation », contre 56% en 2019. En conséquence, près de la moitié des actifs (47%) songe à s’engager dans une reconversion ou a déjà entrepris la démarche : mener tous ces projets à terme reviendrait à quadrupler le nombre de mobilités par rapport à 2019.

A l’issue de la pandémie, les actifs ont ainsi davantage pris conscience à la fois de leurs aspirations et de leur pouvoir de négociation, ce mouvement général étant qualifié d’« empowerment » des candidats et des collaborateurs.

La crainte des entreprises face à ces exigences

Ces exigences décomplexées des candidats se traduisent dans les derniers sondages : d’après LinkedIn, 87 % des salariés dans le monde ont affiché leur préférence pour travailler à distance au moins la moitié du temps. Or cette exigence ne saurait être irréaliste en France puisque d’après une étude de Boostrs, 62 % des emplois dans notre pays pourraient être au moins partiellement télétravaillés.

Les entreprises doivent composer entre leurs besoins de recrutement et une certaine crainte vis-à-vis de ces nouvelles exigences, alors que nombre d’entre elles ont été déjà éprouvées par la crise sanitaire et économique.

Selon la dernière étude menée par le site d’emploi Monster, 91% des recruteurs comptent bien signer de nouveaux contrats de travail cette année. Cependant un tiers d’entre eux appréhendent « des demandes salariales irréalistes » ou des exigences trop élevées des candidats concernant la conciliation entre leur vie personnelle et la vie professionnelle.

La solution passerait-elle par la confiance aux collaborateurs ?

Ces craintes sont-elles réellement fondées ? Si des revendications fantaisistes ou irréalistes peuvent toujours être formulées, la crise sanitaire a cependant démontré qu’une nouvelle organisation favorisant le télétravail était tout à fait réaliste et même productive. Différents éléments ont démontré l’intérêt de ces nouveaux modes d’organisation pour les collaborateurs comme pour les entreprises elles-mêmes :

  • les télétravailleurs réguliers – en moyenne deux jours par semaine – sont plus épanouis que les autres. « Leur indice de qualité de vie au travail est supérieur de 7 points à celui des collaborateurs en présentiel », souligne Alexandre Jost, fondateur de la Fabrique Spinoza, interrogé dans Capital.
  • plus épanouis certes mais aussi et surtout plus productifs, d’après les calculs effectués par Microsoft sur la base d’un temps de trajet réduit, d’horaires flexibles et de l’adoption d’outils collaboratifs.
  • d’après une récente étude de Gartner, les entreprises accordant à leur personnel une meilleure flexibilité horaire ont vu 55 % de leurs effectifs devenir « très performants. »

Il revient ainsi aux employeurs de s’adapter et de faire confiance à leurs personnels afin de maintenir voire décupler leur niveau de performance, en contrepartie des avantages obtenus. Cofondateur de NextGen Enterprise, Luc Bretones confirme que notre relation au travail s’est radicalement modifiée : « exercer son job en partie à distance est devenu le nouveau normal. Les dirigeants qui espéraient siffler la fin de la récré après les confinements se sont ravisés. » 

Quid du secteur de l’assurance ?

Interrogé par Jean-Luc Gambey, sur le plateau d’Assurance TV , le CEO et cofondateur de Testamento ayant publié un cahier de tendance  sur le sujet, Virgile Delporte confirme que l’assurance n’est pas épargnée par ces phénomènes. « Aujourd’hui pour une marque, les clients sont très versatiles, très compliqués à conserver. Nous assistons au même phénomène pour les salariés. »

Virgile Delporte a convenu qu’en matière de rémunération, le secteur de l’assurance était plutôt dans la bonne moyenne. En revanche « pour les assureurs c’est bien plus compliqué au niveau de la flexibilité. Il y a encore de nombreux assureurs qui souhaitent siffler la fin de la récré après la généralisation du télétravail, or cela, les salariés ont du mal à l’accepter. »

Autre sujet d’inquiétude, le fait que plus de 38% des salariés de l’assurance vivent en région parisienne, sachant qu’une tendance post-Covid est la multiplication des déménagements pour s’installer en région.

Mais en réalité, le grand point noir est le manque d’attractivité du secteur, Virgile Delporte avançant à ce titre trois éléments :

  • la population travaillant dans le secteur de l’assurance est vieillissante
  • la réputation des assureurs a largement souffert suite à la pandémie
  • la lourdeur persistante des systèmes d’informations utilisés par de nombreux assureurs, bridant leur capacité à innover

Il faut ajouter à cela un autre phénomène : les fintechs et insurtechs sont à la fois attractives et ont maintenant des moyens. « Avant elles levaient des fonds entre 1 et 3 millions d’euros, maintenant c’est de l’ordre de centaines de millions, avec des milliers d’emploi à clé, rien que 10 000 cette année », explique Virgile Delporte.  « Les fintechs ont de l’argent et sont plus souples sur les conditions de travail, plus attractives en termes de management et d’usage des technologies. Elles grandissent et prennent des parts de marché et iront forcément chercher des grands cadres de qualité chez les assureurs traditionnels. »

Vers une nouvelle conception du travail ?

L’ensemble de ces changements et ce renversement du rapport de force entre employeurs et employés contribuent à dessiner une nouvelle vision de la valeur travail. En effet les exigences des candidats et collaborateurs ne se limitent pas à la rémunération ou aux conditions de travail : selon une étude Cegos, 55 % des salariés se considèrent comme promoteurs ou militants de la responsabilité sociétale des entreprises, et 72 % souhaiteraient être associés aux réflexions de leur employeur en la matière.

Par ailleurs, la pandémie a laissé des traces profondes sur les priorités à accorder au quotidien : selon le baromètre « Empreinte Humaine sur la santé psychologique des salariés » datant d’octobre 2021, 58% d’entre eux disent avoir changé leurs priorités, et 47% se sont engagés dans une reconversion.

Les modes traditionnels de l’organisation du travail, avec sa hiérarchie et une répartition des rôles bien définie, paraissent désormais obsolètes : « on ne cherche plus votre conformité à une fiche de poste, obsolète dès le premier jour, mais votre aptitude à développer un talent au profit du collectif », observe en effet Luc Bretones.

De son côté Sébastien Hébert, du cabinet de conseil en innovation managériale Balthazar, dessine des entreprises nouvelle génération en perpétuelle recomposition : « on y travaille en mode projet, dans des équipes cellulaires. On y privilégie des « profils en T » dotés de compétences verticales mais aussi capables de bosser en mode transverse. Ce qui prime désormais pour une entreprise ? Votre singularité, jusque dans vos expériences hors champ professionnel. Votre authenticité génératrice d’engagement, donc de performance. »

Résultat : depuis le retour progressif au bureau amorcé à la rentrée 2021, les salariés expriment un regain d’entrain. Selon l’indice Qualité de vie au travail et au télétravail, mesuré par la Fabrique Spinoza, l’Institut Think et Norstat, leur plaisir à travailler s’est accru de 7 points et leur sentiment de disposer de plus de liberté a gagné 12 points !

Ainsi ce phénomène qualifié de « guerre des talents » a fait basculer le rapport de force à l’avantage des collaborateurs. Cette expression de « guerre des talents » semble d’ailleurs réductrice car en réalité, l’intensification de la compétition des entreprises entre elles pour attirer et fidéliser les talents n’a rien de destructeur. Au contraire, l’« empowerment » des collaborateurs, favorisé par la crise sanitaire, pourrait constituer le levier décisif de la transformation des entreprises, que ce soit d’un point de vue managérial ou organisationnel.

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