Chamboulé par la crise sanitaire, le monde du travail est en pleine transformation. Outre les évolutions organisationnelles avec l’émergence du télétravail, c’est le rapport au travail dans son ensemble qui s’est trouvé remis en question : éprouvant un sentiment de perte de sens, bien des collaborateurs sont davantage attentifs à la cohérence entre leur activité professionnelle et leurs valeurs personnelles.
Un nouveau risque psycho-social et enjeu RH a été identifié : le brown-out, source de désengagement, voire de mal-être et de dépression. Cependant toute problématique peut aussi être perçue comme une opportunité : les entreprises sachant répondre à cette quête croissante de sens au travail pourraient bien détenir la clé permettant d’échapper à la « Grande Démission » et tirer leur épingle du jeu en pleine « Guerre des Talents ».
Qu’est-ce que le brown-out ?
Ce phénomène a été décrypté par le spécialiste RH Sébastien Elvira, responsable commercial et porte-parole du cabinet spécialisé Protime France, dans une tribune publiée sur Focus RH. Notre spécialiste souligne combien le brown-out représente une forme de souffrance au travail, confirmant que « ce risque psychosocial s’est envolé depuis le début de la crise sanitaire. »
Se traduisant en français par « baisse de tension », le brown-out est une notion plutôt récente, remontant à 2013. Il se caractérise par « une perte de sens du travail d’un salarié et un désintérêt pour les tâches qu’il réalise. Ce qui peut conduire ce dernier à un désengagement et à un épuisement. » Le brown-out est donc à distinguer du burn-out (« épuisement lié à des conditions de travail exigeantes ») et le bore-out (« épuisement par l’ennui »).
Sébastien Elvira identifie trois facteurs clés reliés à la quête de sens des collaborateurs. Si l’un d’entre eux n’est pas réuni, il y a un risque de brown-out :
- le travail doit générer plus d’effets positifs que négatifs
- les missions doivent procurer un élan de satisfaction et d’impact
- le collaborateur doit se sentir pleinement en confiance et intégré
Sans l’un de ces piliers, Sébastien Elvira avertit que le brown-out « peut rapidement survenir avec la manifestation d’un sentiment d’inutilité, de perte d’attention, de démotivation, de repli sur soi et, plus grave encore, d’absentéisme et d’arrêts de travail. » Ce phénomène constitue indéniablement un des nouveaux enjeux auxquels doivent faire face les DRH des entreprises suite à la reprise post-pandémie.
La quête de sens, priorité insatisfaite des collaborateurs
Si la rémunération reste logiquement un facteur déterminant dans le choix d’accepter un emploi, Sébastien Elvira évoque une étude de l’école de commerce Audencia et de la plateforme Jobs that make sense montrant que « 71 % des répondants choisissent un emploi pour l’intérêt de la mission proposée. »
Ce résultat corrobore ceux d’une autre enquête menée par l’entreprise de services RH Acerta auprès de plus de 2000 travailleurs, sur l’importance accordée par les collaborateurs aux efforts de leurs employeurs en matière d’environnement et de lutte contre le dérèglement climatique. Dévoilée par le quotidien belge Le Soir, l’étude révèle que « près d’un travailleur sur cinq est prêt à quitter son employeur si celui-ci ne fait pas ou pas assez d’efforts en matière de climat. »
En outre, 60% des sondés affirment que « la présence ou l’absence de politique climatique influencerait leur choix d’un nouvel employeur. » Le résultat est clair : les collaborateurs sont en demande de sens et privilégient un poste ou un employeur en conformité avec un certain nombre de valeurs, notamment un impact sociétal positif.
D’autres études évoquées par Sébastien Elvira ont cependant confirmé que dans les faits, la perception des collaborateurs de leur propre travail s’est bel et bien dégradée suite à la pandémie. D’après une enquête d’OpinionWay à la fin de l’année 2021, 33 % des Français « ont perdu tout sens en leur activité professionnelle depuis le début de la crise. »
Pire encore, suite à un sondage effectué par la start-up Chance, 62% des personnes interrogées ont déclaré « ne pas se sentir vraiment utiles dans leur travail. »
Pour en revenir à l’étude d’Acerta, celle-ci met aussi en évidence un décalage entre les aspirations des collaborateurs et l’importance accordée à celles-ci par leurs dirigeants.
Si près de 80% des salariés considèrent qu’il est « très important que leur employeur prenne des mesures pour lutter contre le changement climatique », une précédente enquête du prestataire RH avait montré que du côté des dirigeants, seulement 64 % d’entre eux estimaient cette question importante pour leurs employés.
Ainsi 45% des employeurs n’impliquent pas leurs collaborateurs dans la politique climatique de leur organisation même si pourtant, 46 % des travailleurs interrogés souhaiteraient « avoir davantage leur mot à dire, notamment les travailleurs entre 18 et 35 ans. »
Ces résultats soutiennent ainsi le constat sans appel de Sébastien Elvira : « la menace de brown-out est grandissante pour les organisations et la vigilance de rigueur. »
Anticiper le risque par des politiques de management et RSE pro-actives
Au fond, la meilleure façon d’appréhender le risque de brown-out consiste à retourner le problème : la guerre des talents ayant mené à un empowerment des collaborateurs, il revient aux employeurs de s’adapter pour attirer de nouveaux talents et pour retenir les leurs.
L’étude d’Acerta souligne ainsi que « 68,7% des employeurs sont convaincus que leurs actions en faveur du climat favorisent les recrutements ».
De son côté, Sébastien Elvira invite les entreprises à davantage d’initiatives visant à valoriser le travail de leurs personnels et souligner leur impact positif pour la société : « les entreprises doivent multiplier les actions pour garantir le sens qu’un collaborateur porte dans le travail. Si la communication, le dialogue et le partage d’information sont fondamentaux, la valorisation des tâches est primordiale. »
Plaçant la lutte contre le brown-out dans le cadre plus large des nouveaux enjeux RH et de management, le spécialiste RH liste diverses évolutions à mener des pratiques managériales :
- un manager doit pouvoir « faire progresser et encourager un salarié »
- accorder au personnel plus de flexibilité d’organisation
- mieux veiller « aux équilibres entre vie professionnelle et vie personnelle »
- instaurer des « moments de respiration et de partage » au sein des équipes
Une entreprise ne saurait donc combler les attentes de son personnel sans veiller à améliorer l’expérience Collaborateur. Sébastien Elvira incite à une politique RH et managériale pro-active, dans l’anticipation : « tout cela aura pour effet d’engager les collaborateurs à s’investir dans leurs fonctions et se sentir à leur place », limitant le risque de brown-out, et donc de départ.
C’est cette stratégie que semble avoir appliqué le cabinet Bessé, expert du conseil et courtage en assurance auprès des professionnels. Faisant témoigner directement ses « jeunes talents » en vidéo afin d’attirer de nouveaux candidats, Bessé véhicule une communication de Marque Employeur en parfait accord avec l’évolution des pratiques managériales et RH : accompagnement des équipes, développement des compétences et des qualités professionnelles, incitation à l’autonomie, le tout évidemment dans une ambiance de travail conviviale et bienveillante.
Mais encore faut-il que cette communication attrayante se traduise par une réalité concrète similaire sur le terrain : comme l’ont souligné de nombreux experts RH, une politique de Marque Employeur réussie ne saurait se borner à de la communication externe destinée aux candidats.
La valorisation de la Marque Employeur ne peut être décorrélée de la réalité de l’expérience Collaborateur, il revient aux entreprises de s’adapter en prenant à bras le corps ces enjeux dans leur ensemble.
C’est également dans ce sens qu’Acerta conclut son enquête, invitant les employeurs à satisfaire les exigences de leurs collaborateurs en matière de politique RSE : « les entreprises qui tiennent compte du climat et de l’environnement ont une longueur d’avance pour gagner la guerre des talents sur le marché de l’emploi. »
Le brown-out correspond au sentiment d’effectuer des tâches dont on ne comprend ni le sens, ni la finalité, sans qu’il y ait ni sous-charge ni surcharge évidente : ce n’est pas la quantité de travail qui est concernée, mais son intérêt. Les travaux demandés ne sont pas vraiment sous-qualifiés, mais ils sont jugés insignifiants, inutiles voire absurdes et une perte d’intérêt et de motivation s’installe progressivement avec un sentiment généralisé de mal-être au travail.
Le brown-out est apparu concomitamment à la description des « bullshit jobs », ces fameux « boulots de merde » ou « jobs à la con » de l’anthropologue David Graeber (2013 et 2018) :
voir pour + : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/la-prevention-du-mal-etre-au-travail-burn-out-bore-out-brown-out