Assurance : la mutualisation des risques de santé / prévoyance est-elle en sursis face au pouvoir de prédiction de la génomique ?

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La génomique permet l’analyse individualisée des données génétiques et de leurs conséquences, avec à la clé la construction de scores d’exposition ou de prédisposition à certaines maladies et symptômes.

Le développement accéléré de nos capacités à séquencer les génomes des êtres vivants et l’utilisation de ces données est une manne pour prévenir et éviter certaines affections. Mais, il nous expose aussi à certains travers qui pourraient toucher au ciment même de notre société en renforçant l’individualisme et avoir des conséquences fortes pour l’assurance santé et la prévoyance. Elle doit donc être rigoureusement encadrée pour éviter certains travers, ce qui implique une cohésion forte de la société, de nos gouvernants et des assureurs. Explications de Pierre Vaysse, leader de l’écosystème ma santé chez Allianz France.

Le premier impact de la génomique est de mettre à disposition de chacun une vision personnalisée de son risque santé, mais attention aux biais d’interprétation

Le nombre de génomes séquencés et leur rapprochement des données de santé des individus à grande échelle permet de construire des scores d’exposition ou de prédisposition à certaines maladies et symptômes. Dans certains pays, il est aujourd’hui déjà possible d’obtenir pour quelques centaines d’euros une analyse de son génome et un score individualisé pour certaines maladies. Son interprétation individuelle posera les mêmes problèmes que celle des scores de sinistralité par les actuaires dans la construction d’un tarif d’assurance : le score n’a pas de signification pour un individu.

La capacité d’interprétation pose question à titre individuel

Si le modèle m’attribue une propension dix fois supérieure à la moyenne d’avoir un accident de voiture ou de tomber malade d’un cancer de l’estomac, que dois-je faire de cette information ?

Une propension élevée pourrait avoir l’effet d’une épée de Damoclès et potentiellement en pousser certains à des changements de comportements disproportionnés, voire à se mettre en retrait de la société, et dans le pire des cas à provoquer des dépressions. A l’inverse, des propensions faibles pourraient donner un faux sentiment de sécurité et induire des comportements à risque, mettant à mal les efforts collectifs de prévention. On le voit bien, ces effets pervers pourraient conduire à des oppositions fortes au sein de la société et mettre à mal son sentiment d’appartenance.

Au niveau agrégé, l’utilisation des scores peut au contraire être extrêmement puissante et changer fondamentalement notre approche de la santé, dans le bon comme dans le mauvais sens.

La génomique : une manne pour prévenir certaines affections

L’exploitation des données génomiques et de santé, croisées avec les comportements des individus, pourrait permettre d’éviter l’apparition des maladies, ou en effectuer un dépistage très précoce. Nous disposerions ainsi d’outils extrêmement efficaces pour cibler les actions de prévention et les soins préventifs sur les individus potentiellement les plus exposés, ce qui permettrait d’améliorer significativement la performance de notre système de santé, dont la soutenabilité est menacée par l’explosion des coûts.

Les assureurs complémentaires jouent déjà un rôle important dans l’optimisation des parcours de soin et dans la prévention. Bien utilisés, les outils génétiques, pourraient permettre d’améliorer grandement cet impact, dans un cadre clairement défini. Cette approche positive est envisageable uniquement par l’intermédiaire d’un tiers de confiance, rôle que peut jouer l’assureur, qui utilisera l’information agrégée mais ne fournira pas les informations propres aux individus. Notre société doit et devra savoir imposer ce voile d’ignorance.

… mais qui nécessite un cadre pour protéger la mutualisation en assurance santé et prévoyance

Si elle était mal utilisée, la connaissance des risques génétiques de chacun conduirait à la destruction de la mutualisation en assurance santé et prévoyance, sur laquelle repose notre modèle de protection sociale français mis en place au sortir de la Seconde guerre mondiale.

Les individus les plus à risque se retrouveraient dans des cases tarifaires extrêmement hautes, ce qui conduirait à une non-assurance et à une exclusion de la société. Et, cette trop grande individualisation des tarifs d’assurance signerait tout simplement la disparition des mutualités.

Il est donc clé que la société continue à faire corps en imposant la non-utilisation de ces données génétiques pour sélectionner ou tarifer les risques. Les lois de protection des données de santé sont extrêmement fortes en Europe et nous sommes bien heureusement très loin de cette situation. Mais, faire analyser ses données génétiques, aujourd’hui, dans un pays étranger beaucoup moins protecteur en termes de « data privacy » est bien moins anodin qu’on pourrait le penser.

Les pouvoirs publics et les assureurs doivent donc faire preuve de pédagogie pour expliquer les risques liés à ces pratiques et à leurs potentielles conséquences sur l’exploitation individualisée des données à des fins de tarification ou de souscription, tout en construisant petit à petit les conditions d’utilisation de ces données pour la prévention des risques et l’optimisation du système de santé.

Le développement extrêmement rapide de la génomique est donc porteur d’enjeux clé pour notre futur commun. Il faudra une cohésion forte de la société, de nos gouvernants et des assureurs pour lutter contre les risques de démutualisation et assurer que les données soient utilisées collectivement dans le but d’améliorer notre santé à tous.

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